DÉCOUVERTE

La nouvelle École Nationale Supérieure de la Photographie, Arles |

Un projet prometteur, Marc BARANI arch.

Juin 2017

On savait le Parc des Ateliers en pleine restructuration avec la construction de Frank O. Gehry. Depuis quelques mois prend place face à celle-ci le chantier du nouveau bâtiment de l’École nationale supérieure de la photographie d’Arles (ENSP). Depuis sa création en 1982, l’école nationale supérieure de la photographie occupe l’hôtel Quiqueran de Beaujeu un magnifique immeuble du XVIIIe siècle à l’ouest des Arènes. Avec le temps et le développement de l’École, les espaces sont désormais exigus, peu adaptés aux évolutions de la discipline et non conformes à la réglementation. Avec ce nouveau bâtiment, l’École doublera sa surface permettant aux projets de création un développement sans doute spectaculaire.

L’École Nationale Supérieure de la Photographie (ENSP)

Avec Vincent Van Gogh, la lumière du Pays d’Arles a acquis une notoriété internationale. Le peintre y a passé vingt mois et peint plus de 350 tableaux parmi lesquels figurent les pièces majeures de son œuvre. S’il n’a pu réaliser de son vivant son rêve d’installer à Arles « l’atelier de l’avenir », il a donné à ces paysages un tel rayonnement dans le monde des arts que de nombreux autres artistes s’y sont intéressés. Avec l’essor de la photographie à la fin du XIXème siècle, il était certain qu’Arles continue à célébrer l’art de la lumière et du contraste jusqu’à recevoir dès les années 70 les « Rencontres d’Arles ». Créé en 1969 par des photographes passionnés – Lucien Clergue, Jean-Maurice Rouquette, Michel Tournier et d’autres -, il constitue chaque année le rendez-vous des photographes et permet à la ville de s’imposer comme un lieu incontournable de la photographie.

Vu cette orientation, il était aussi évident qu’une école d’art exclusivement consacrée à la photographie soit fondée. C’est ainsi que naît en 1982 au cœur de l’ancienne ville d’Arles l’École nationale supérieure de la photographie, un établissement public administratif d’enseignement supérieur sous la tutelle du Ministère de la Culture et de la Communication. Sa mission principale est de former en trois années d’études des photographes auteurs, dotés à la fois de solides connaissances théoriques et d’une formation technique approfondie. Récemment, une formation de troisième cycle unique en France a vu le jour : un doctorat de création en photographie en partenariat avec l’Université d’Aix-Marseille. Lieu singulier d’expérimentation, de recherche et de création, l’École a su s’adapter aux mutations techniques et développer une réflexion critique sur l’image, ouverte aux différents écoles d’art et de photographie avec lesquelles elle développe des partenariats (ICP, HEAD, Aalto University, SIVA, etc.).

Enfin et depuis 2007, l’ENSP propose une offre de formation continue aux professionnels des métiers de l’image, aux artistes ainsi qu’aux passionnés de photographie. La programmation pédagogique s’organise autour d’un apprentissage des pratiques de la photographie contemporaine, combinant rigueur technique et réflexion théorique.

Genèse du projet : de la volonté politique au concours d’architecture

Le 25 mars 2010, à l’occasion de la présentation des 41èmes Rencontres photographiques d’Arles, Frédéric Mitterrand – alors Ministre de la Culture – annonce la création d’une mission pour la photographie. A une époque où les évolutions technologiques affectent les processus de production et de diffusion de la photographie, cette mission se devait de privilégier « une approche globale et cohérente pour répondre aux défis conjoints du numérique, du patrimoine, de la création et du photojournalisme » [Frédéric Mitterrand]. Cette mission, présidée par Daniel Barroy, était chargée de :

> renforcer et améliorer les politiques de conservation et de diffusion ;

> trouver des réponses adaptées à la préservation et à la transmission des fonds photographiques menacés de disparition ou de dispersion ;

> veiller à la plus large diffusion possible des richesses des fonds photographiques ;

> réfléchir avec l’ensemble des acteurs concernés aux mutations techniques et économiques du secteur et à son évolution ;

> proposer des axes de travail, avec les services et les professionnels concernés afin de faire rapidement un diagnostic sur ce secteur.

Un an plus tard, Frédéric Mitterrand annonce vouloir créer un centre de la photographie patrimoniale et confirme le lancement d’un concours d’architecture pour l’École nationale supérieure de la photographie (ENSP), jumelée avec ce futur centre patrimonial. Ce concours sera lancé dès que « l’implantation aura été décidée en concertation avec la Ville d’Arles et la Fondation LUMA (…). C’est la part de l’Etat dans le développement d’Arles comme « pôle culturel majeur dont l’importance dépasse nos frontières » [Frédéric Mitterrand].

La question du site

Dès les premières discussions sur l’aménagement général du site des Ateliers, l’idée de se rapprocher du siège de la Fondation Luma constitue une évidente opportunité. Les premières esquisses de 2008 montrent une installation de l’école au sud de l’avenue Victor Hugo, en bordure ouest du site. Les négociations menées dans le cadre de la mission de médiation évoquée plus haut vont faire évoluer ce schéma.

Il est alors proposé de reporter l’école au nord de l’avenue, en alignement de celle-ci. Les avantages paraissent évidents : recentrer l’emprise de la fondation Luma, éviter les interactions entre deux projets complémentaires mais de conception, de logique et de calendrier bien différent, et valoriser ce côté nord de l’avenue par un édifice faisant face au projet de Frank Gehry, marquant ainsi fortement l’entrée est du centre-ville. Malgré diverses résistances, la décision sera actée fin 2011.

Le site retenu est une grande parcelle délaissée, de forme triangulaire : d’un côté les voies ferrées du Paris-Vintimille en contrebas, de l’autre le promontoire planté de l’avenue Victor Hugo et face à lui le pied d’une colline sectionnée par le creusement de la tranchée du chemin de fer et sur laquelle subsiste encore – comme suspendue – la chapelle de Saint-Pierre des Mouleyrès. Autant de contraintes urbaines et patrimoniales sur lesquelles se sont appuyés certains projets d’architecture.

176 candidats, 5 projets retenus, 1 lauréat

Un appel à candidatures est lancé en 2013 ; 176 architectes se portent candidats. Cinq agences, cinq noms sont finalement retenus : Marc Barani (Equerre d’Argent 2008 et Grand Prix national de l’architecture 2013), Rudy Ricciotti (Grand Prix national de l’architecture 2006), Francis Soler (Grand Prix national de l’architecture 1990), Corinne Vezzoni et associés (native d’Arles) et le portugais Eduardo Souto de Moura (Prix Pritzker 2011).

Le concours se déroule au printemps 2014. Il faut attendre le 12 juin pour voir réuni le jury à Arles. Composé de représentants du Ministère de la Culture et de la Communication, de la ville d’Arles, du Conseil Régional, de la Communauté d’Agglomération Arles-Crau-Camargue-Montagnette, de l’École Nationale Supérieure de la Photographie, de l’Opérateur du Patrimoine et des Projets Immobiliers de la Culture et de personnalités qualifiées, le jury classe les projets comme suit :

Marc Barani (1er) 

Rudy Ricciotti (2ème) 

Francis Soler (3ème) 

Corinne Vezzoni et associés (4ème) 

Eduardo Souto de Moura (5ème)

Selon le communiqué publié par le Ministère de la Culture, la ministre Aurélie Filippetti se réjouit « du choix de Marc Barani pour ses qualités capables de répondre au mieux aux besoins techniques et pédagogiques de l’Ecole, tout en assurant sa parfaite insertion dans le tissu urbain » (…). « Le nouveau bâtiment renforcera la capacité de l’école à répondre aux besoins renouvelés de formation, de recherche et d’éducation à l’image » (…). « Il contribuera également à confirmer l’identité et le rayonnement international d’Arles comme territoire de la photographie et de la création artistique contemporaine.»

Le lauréat, Marc Barani 

Marc Barani est né en 1957 à Menton. Il commence à la fin des années 1970 ses études à l’Ecole Nationale d’Architecture de Marseille (ENSA) de laquelle il diplôme en 1983. Un an avant l’obtention de son diplôme, le jeune homme de 25 ans part avec une équipe du CNRS au Népal étudier la ville de Kirtipur. Une expérience dont il revient changé. Un voyage fondateur : « je suis parti travailler pendant un an dans un petit village de la vallée de Katmandou où la vie, sans être idéale, était encore suffisamment cohérente pour que l’on puisse en déceler l’unité. (…) Ce séjour m’a permis de porter un regard plus clair sur le rôle que l’architecture pouvait jouer dans nos sociétés occidentales ». L’architecture n’est plus seulement un jeu de formes visant à une esthétique, elle est d’abord un art de vivre, la mise en forme d’une relation au monde, replaçant en cela l’homme et ses contradictions au centre de sa vision. Il fait sienne la définition hindouiste de l’architecture comme « la science des correspondances subtiles ».

« Je suis plus particulièrement un habitant de cette partie de la Méditerranée où la montagne tombe à pic dans la mer. »

Marc Barani reste méconnu du grand public, mais ses réalisations lui ont valu les plus hautes distinctions de sa profession. Pour la réalisation du pôle multimodal du tramway de l’agglomération niçoise, il reçoit en 2008 l’Equerre d’argent – qui est à l’architecture ce que le Goncourt est à la littérature -, puis en 2013 le Grand prix national de l’architecture, considéré comme la plus haute distinction française.

Le projet arlésien : une réponse au site tout en finesse et effacement

« L’école est implantée sur un site très particulier, très délicat, explique Marc Barani. Il est à la fois en lisière de la ville historique et à proximité de hangars ferroviaires. J’ai voulu rendre compte de ces deux caractéristiques à travers mon projet. »  (…) « Le projet s’articule autour de deux figures simples et historiques de la ville d’Arles: d’une part, la halle, en référence au patrimoine industriel de la ZAC des Ateliers qu’il va rejoindre – sa toiture soulevée par quatre blocs de béton flotte au-dessus du parvis et assure la continuité urbaine – et, d’autre part, le patio minéral, ancré dans son sol. Par-delà les correspondances entre photographie et architecture – regard, cadrage, lumière, mouvement – ce projet a pour ambition de capter le vivant et de le mettre au cœur du processus de création; ce qui est aussi, le but ultime de la photographie », décrit l’architecte dans la notice de présentation de son projet.

Marc Barani choisit de s’inscrire dans le site en deux figures. Dans ses dessins, l’architecte cherche à concilier la nécessité d’ouverture sur la ville et l’intimité qu’exige la création. « Il y aura donc une partie extravertie, avec de grandes baies vitrées qui permettront aux élèves de voir le paysage et aux Arlésiens qui passent sur le boulevard d’apercevoir certaines créations ; et une partie introvertie, autour d’un patio où tout le monde se rencontre. Au plus on descendra, au plus ce sera intime. » Le croisement de ces deux figures génèrera des espaces complexes, à l’abri de la lumière brûlante du soleil. « Toutes ces gradations de lumière pour un lieu qui enseigne la photo est important ».  

À ces deux figures correspondent les deux parties du programme. La première – tout en longueur – est à l’image des halles industrielles des ateliers ferroviaires : une partie ouverte, lisible, comprenant les salles d’exposition, le Fablab et l’amphithéâtre ; la seconde – introvertie – reprend les patios de la ville traditionnelle et se découvre au fur et à mesure que l’on s’avance dans le contre-bas du site. Plus on descend, plus le programme devient dense en enseignements pour parvenir finalement au niveau du sol excavé de la ville. C’est ici une construction sur deux étages, plus fermée, qui tire sa lumière de l’espace central autour duquel les salles de cours et de travaux dirigés s’organisent ; c’est l’espace du patio minéral, le niveau plus intime des salles de classe et des ateliers. Les salles captent la lumière par le patio dont l’espace se dédouble par des coursives périphériques qu’emprunteront les étudiants pour regagner leurs cours. Des pilastres architecturent le patio déclinent le thème du péristyle.

En observant la coupe, nous comprenons mieux encore la connexion du bâtiment  entre la rue et son patio en contrebas. Le bâtiment de Frank Gehry apparait sur la gauche avec ses 57 m de haut et face à lui – pour se caler sur une autre logique – l’école et ses 120 m à l’horizontale. Le bâtiment est étiré au maximum pour qu’il acquière une échelle qui puisse s’accorder avec celle du bâtiment de Luma, mais pas seulement ; pour qu’il soit aussi, avec sa grande toiture plate en porte-à-faux et la masse de ses quatre piliers servants cyclopéens, transparent sur le monument historique de la chapelle. Proche de l’infrastructure, son dispositif dit l’effacement, la permanence, l’ombre et la clarté, alternant les pans d’opacité susceptibles d’ombrager les locaux et les toitures diaphanes qui diffusent une douce lumière.

Pas de fenêtres, mais des baies vitrées ; de même les garde-corps sont souvent évités pour être avantageusement remplacés par des sauts-de-loup. Vocabulaire et syntaxe semblent se résumer à quelques fondamentaux : murs de pierre ou de béton, piliers massifs, toiture-terrasse, gradins condescendant à servir d’escalier ; le porté, le suspendu, l’entrée dans le rocher. Dans cet édifice rappelant les scénographies d’Adolphe Appia, tout est étudié pour servir de support à des usages éprouvés presque ritualisés : se promener, écouter, méditer, travailler.

Le foyer profite d’une terrasse extérieure qui se prolonge en un gradinage : amphithéâtre complémentaire aux exigences du programme. La fluidité spatiale ainsi obtenue s’accommode de la rigueur du plan en U dont la paroi extérieure ne s’ouvre qu’avec parcimonie sur les alentours. Cette opacité est servie par une matérialité en parement de béton teinté tantôt lisse tantôt fortement structuré. Le contraste est alors saisissant avec les façades de verre du rez-de-chaussée haut et la plaque du toit qui semble en lévitation.

Enfin, le terrain alentours en contrebas sera laissé libre, et volontairement laissé libre, sauvage, comme pour s’accorder avec l’aspect minéral et indompté de la ville d’Arles.

Perspectives

« Notre déménagement boulevard Victor-Hugo va nous permettre de doubler la surface de l’établissement, se félicite le directeur de l’École Rémy Fenzy. On va se retrouver dans un bâtiment plus contemporain, qui permettra à nos projets de création de se développer de manière extraordinaire ». L’école gardera la même politique en terme de concours d’entrée : 300 à 400 candidats, 25 étudiants reçus pour un cursus de trois années. En revanche, le doctorat « Pratique et théorie de la création artistique et littéraire, spécialité photographie », en partenariat avec l’Université d’Aix-Marseille, accueillera plus d’élèves, tout comme la formation professionnelle continue et la classe internationale. 

 « L’école a déjà une solide réputation, mais ce nouveau bâtiment va lui donner encore plus d’ampleur, poursuit Rémy Fenzy. « Et le fait qu’il soit en face de la tour Luma promet de belles collaborations ». Marc Barani mise lui aussi sur « une synergie entre les deux projets : l’école bénéficiera de l’attraction de la tour Gehry et vice-versa ».

C’est donc un nouveau chantier plein de promesses qui vient de démarrer. L’ouverture devrait avoir lieu à la rentrée 2018-2019. A suivre.

Quelques repères

Maître d’ouvrage : Ministère de la Culture et de la Communication

Maître d’ouvrage mandataire : Opérateur du Patrimoine et des Projets Immobiliers de la Culture – OPPIC (Paris) ;

Maître d’œuvre : atelier Marc Barani architecte,

Structure : Kephren ingénierie,

Fluide : Espace temps,

HQE : RFR éléments,

Économiste : Mazet et associés,

Acousticien : ACV,

Scénographie : Ducks sceno,

Conception lumière : ACL.

5000m2 de surface utile (SU) :

  • 2 plateaux d’exposition de 200 m² chacun ;
  • Un auditorium de 200 places ;
  • Un Fablab de 120 m² ;
  • Plus de 500 m² de patios, jardins et galeries extérieures ;
  • Des espaces de travail pour accueillir artistes et chercheurs en
  • résidence pédagogique ;
  • Un amphithéâtre ;
  • Une bibliothèque de plus de 30 000 ouvrages ;
  • 3 studios de prise de vue ;
  • Des ateliers techniques, des salles de cours et de monstration, des équipements performants et innovants.

Budget : le montant de l’opération s’élève à 19 millions d’euros (dont 11 millions € HT travaux). Le plan de financement réunit l’Etat, la région Provence Alpes Côte d’Azur, l’aménageur de la Zac des Ateliers, le Conseil général des Bouches-du-Rhône et des mécènes privés.